C’est même fondamental. Que notre vie tout entière soit donnée à Dieu se manifeste d’abord par ces temps de prière quotidiens qui nous ramènent, en communauté, à l’église du monastère. C’est ce que nous appelons «les offices liturgiques». Ils sont au nombre de sept et forment le squelette de notre journée, autour duquel le reste de notre vie s’articule.
Cette prière en marche atteint son point culminant dans l’eucharistie, qui est célébrée chaque jour et qui est la source et le sommet de toute vie chrétienne. Pourquoi tant prier? Simplement pour cultiver notre relation amoureuse avec Lui, le Christ.
Bien sûr! Une relation amoureuse prend de multiples chemins pour se dire : échange de regard, texto, courriel, discussion, promenade à deux, souper à la chandelle, etc. Il en est de même pour notre relation à Dieu.
L’adoration ou l’oraison, par exemple. Prière silencieuse où on se recueille en soi-même afin de rencontrer Dieu dans le secret du cœur. Dieu est là, être là pour Lui. Lui parler… un peu ; l’écouter… beaucoup. Ce cœur à cœur est tout simple : « Penser à Dieu en l’aimant. »
Ou ce que nous appelons la lectio. C’est une lecture méditative et priante de l’Écriture. « Dans la prière, c’est nous qui parlons à Dieu ; dans la lectio c’est Dieu qui nous parle. »
Puis il y a l’étude. Pour aimer, il faut connaître ; et pour connaître, il faut lire. La Bible d’abord, et les Pères qui l’ont commentée. Tous les trésors de la pensée chrétienne ensuite. Le moine se nourrit de la foi des croyants d’hier et d’aujourd’hui.
Et, enfin, des petits moments de cœur à cœur qui s’insèrent, ici et là, au sein même des activités.
Non, le silence n’est pas l’objet d’un vœu, comme on le croit souvent, mais est une aide pour une recherche authentique de Dieu. Pour pouvoir écouter le Seigneur qui parle à l’intime de notre cœur, il est bon d’imposer une mesure à nos paroles.
La communauté a donc choisi de faire un effort pour garder une atmosphère de silence, surtout en certains lieux (église, réfectoire, corridors, etc.), et à certain moment de la journée (avant la prière de Laudes et après celle de Complies, par exemple).
Sur une base hebdomadaire, nous avons une récréation, le dimanche soir. Quelques fois dans l’année, nous soulignons les fêtes et les événements spéciaux par une soirée fort animée : chansons, théâtre, jeux de société. Les moines ne sont pas toujours sérieux…
Nous travaillons comme tout le monde. C’est par notre travail que nous assurons notre subsistance. Facteur d’équilibre, son labeur associe le moine à la condition commune des travailleurs.
Le plus souvent manuel, ce travail peut prendre diverses formes : verger, cidrerie, cuisine, administration, comptabilité, accueil, entretien général, selon les besoins de la communauté et les aptitudes de chacun. Tous les talents sont mis à contribution! Pas de compétition, puisque tout est mis en commun : l’argent, les compétences et les bonnes volontés. Tout est vu comme service fraternel.
Et, sept fois par jour, le travail cède la place à la prière, puisque la prière est notre premier travail.
« Le travail manuel, la séparation, la pauvreté volontaire, voilà la marque distinctive des moines, voilà ce qui a coutume d’ennoblir la vie monastique. »
(Saint Bernard)
Le brouhaha de notre société distrait. La recherche des plaisirs, de la consommation, du succès, de la renommée, détournent de l’essentiel. Alors, oui, sans mépriser rien ni personne, le moine se place un peu en retrait, dans une certaine solitude. Il veut, avant tout, aimer Dieu, et comme tous les amoureux, il désire être seul avec Celui qu’il aime. Il est donc vrai que les monastères sont toujours un peu à l’écart du grand trafic.
Mais en même temps, si le désir de rencontrer Dieu devait exclure tout contact avec les humains, il serait probablement illusoire. C’est pourquoi nous avons une vaste hôtellerie où nous accueillons ceux et celles qui cherchent paix, calme, solitude et recueillement pour quelques jours. Le monastère se veut un lieu assez proche des humains pour que tous se sentent un peu chez eux. Et assez transparent pour que tous se sentent un peu chez Dieu.
Ici aussi, une tension entre deux pôles et un équilibre à garder. Il y a des temps de solitude personnelle, mais nous vivons aussi comme des frères en communauté.
Pour favoriser le «dialogue intérieur» si cher aux moines, une part importante de solitude est donc aménagée dans notre quotidien.
Et, en même temps, nous faisons le choix évangélique de vivre ensemble dans la charité. Malgré nos différences… Ces frères, nous ne les avons pas choisis, mais Dieu nous les a donnés. Les anciens donnent le témoignage de la fidélité, ils ont duré. Les plus jeunes apportent leur dynamisme, mais ont encore des choses à apprendre. Les frères d’âge moyen, eux, portent le poids du jour et des responsabilités, et ont besoin d’une bonne dose de générosité.
Et pourtant, pas de contradiction entre solitude et vie fraternelle : la première permet l’épanouissement de la deuxième et la deuxième permet la fécondité de la première.
Par le seul fait que nous soyons là, nous disons que Dieu existe et qu’il vaut la peine de vivre pour Lui seul. Nous laissons percevoir qu’Il peut, et qu’Il est le seul à pouvoir, rendre pleinement heureux. Notre plus grand témoignage est donc d’être à fond ce que nous devons être : des moines.
« Comment faire du bien à son prochain ? Quoi de plus utile que la prière ? Donne-là ! Quoi de plus humain que la pitié ? Répands-la sans compter : rassemble le monde entier au creux de ton amour. Et là, tout ainsi ensemble, contemple les bons et les méchants. Réjouis-toi sur les uns et pleure sur les autres. À tous, ouvre un cœur plein d’amour. »
(Saint Aelred de Rievaulx, Lettre à sa sœur recluse)